Épargner les riches? Un discours populaire sans fondement scientifique.

Le débat sur l’introduction d’un impôt sur la fortune est caractérisé par des demis vérités et des faux-semblants, affirmait récemment Marc Reynebeau, chroniqueur au journal flamand De Standaard. Tels des marchands de doute, certains groupes d'intérêt tentent de semer la confusion quant aux dangers et aux bénéfices potentiels d'un impôt sur la fortune. Une lettre ouverte signée par 400 chefs d'entreprise mettant en garde contre les prétendus effets néfastes d'un impôt sur la fortune l'a encore illustré le week-end dernier.

Le cœur de l'argument ? Un impôt sur la fortune est inefficace (parce qu'il entraîne une fuite des capitaux et de faibles rendements), il est économiquement nuisible (en limitant les ressources dont disposent les plus riches pour investir), il est inutile (parce que la Belgique a déjà des impôts sur le capital élevés) et va essentiellement frapper la classe moyenne. Toutefois, un examen de la littérature scientifique récente montre que cet éventail d'arguments utilisés est factuellement incorrect.

 La fuite des capitaux est exagérée. 

Lors de l'introduction d'un impôt sur la fortune, il faut tenir compte du changement de comportement des personnes susceptibles de devoir le payer. Certains pourraient être tentés de fuir le pays afin de l’éviter. Néanmoins, au-delà d’histoires anecdotiques de quelques personnages célèbres qui ont déménagé pour des raisons fiscales, il n'y a guère de preuve empirique d'une fuite des capitaux à grande échelle. De nombreux millionnaires se révèlent plus honorables qu'on ne le pense.

A cet égard, une synthèse des études sur les migrations internationales suivant l'introduction d'un impôt sur la fortune conclut que les pertes dues à la fuite des capitaux sont négligeables par rapport aux revenus potentiels. Une étude scandinave récente aboutit aux mêmes conclusions: une augmentation d'un point de pourcentage de l'impôt sur la fortune des 2 % les plus riches entraîne une diminution de l'emploi total de maximum 0,03 % et du PIB de maximum 0,1 %.

Le risque de fuite des capitaux semble donc largement exagéré. Les "riches" ne fuiront pas en masse, contrairement à ce qui est souvent affirmé.

Des recettes limitées?

Ensuite, le peu de recettes que générerait un impôt sur la fortune est fréquemment pointé du doigt. Or, l'étude la plus récente sur le sujet (de l'UCLouvain) réfute également cette critique : un impôt sur la fortune bien conçu pourrait rapporter entre 8,9 et 13,2 milliards d'euros annuellement en Belgique. Et ces chiffres tiennent déjà compte des pertes potentielles dues à l'évasion fiscale. Une telle manne d’argent serait bienvenue à une époque où les États doivent trouver des fonds supplémentaires pour faire face aux problèmes sociaux et environnementaux, tout en étant soumis à la pression des nouvelles règles budgétaires européennes.

De plus, les exemples du passé nous ont appris que si les recettes de l'impôt sur la fortune ont été décevantes dans certains pays de l'OCDE, c'est principalement parce que trop d'échappatoires et de niches fiscales ont été laissées ouvertes.

Néfaste pour l'économie?

Des chefs d'entreprise dont les activités fonctionnent bien se trompent d'ennemi en s'opposant à l'impôt sur la fortune : un tel impôt a pour effet de déplacer la charge fiscale vers les propriétaires dont les capitaux sont peu ou improductifs. Selon une étude américaine, un impôt sur la fortune a un effet net d'amélioration de l'efficacité : comme la détention d'un capital "dormant" entraîne un coût supplémentaire, l’impôt incite davantage à utiliser le capital de manière plus productive en l'investissant. Par conséquent, l'investissement n'est pas découragé, mais encouragé, ce qui profite à la productivité de l'économie. 

Un impôt sur la fortune ne rendrait donc pas l'économie belge moins innovante, au contraire.

Déjà très taxé? 

Il est de bon ton de prétendre que les impôts sur le capital sont déjà "très élevés" en Belgique. Toutefois, les chiffres récents de l'OCDE montrent clairement qu'en réalité, la différence de taux d'imposition effectif entre les personnes percevant des revenus du travail et celles percevant des revenus du capital n'est nulle part plus importante qu'en Belgique. Cela s'explique en grande partie par l'absence d'impôt sur les plus-values en Belgique et l'absence d'impôt sur les revenus locatifs réels.

Ainsi, contrairement à ce qui est souvent affirmé, la Belgique n'est pas un enfer fiscal mais plutôt un paradis fiscal pour les plus fortunés. C'est le travail qui supporte une taxation disproportionnée, pas le capital.

Frapper la classe moyenne?

La classe moyenne ne risque-t-elle pas alors d'être touchée par l'impôt supplémentaire ? Des chiffres récents de la Banque Nationale de Belgique montrent clairement que l'inégalité des richesses en Belgique a longtemps été sous-estimée. Plus de la moitié (55 %) de la richesse nette et pas moins de 79 % des actions cotées en bourse sont entre les mains des 10 % les plus riches. En outre, une part croissante de cette richesse est héréditaire : elle a été transmise de génération en génération et n'a pas été acquise sur la base du mérite personnel ou du mérite tout court.

Un impôt sur la fortune n'affecterait donc qu'une petite partie de la population.

Choix politique

Lorsque des chefs d'entreprise s'opposent à un impôt sur la fortune parce qu'il n'est pas dans leur intérêt direct, ils sont dans leur bon droit. Mais prétendre que son introduction est désastreuse pour la société, c'est trahir la vérité et induire en erreur. Et, lorsque plus de 70 % de la population est favorable à un impôt sur la fortune, cela ressemble davantage à du chantage. En fin de compte, taxer la richesse est techniquement possible, faisable et économiquement efficace – le faire ou non est donc un choix politique.

-          Ce Texte a été cosigné par:

Anton Jäger, University College, (Oxford/KU Leuven), Vincent Scheltiens (UAntwerpen), Brent Bleys (UGent), Bakou Mertens (UGent), Mattias Vermeiren (UGent), Jonas Van der Slycken (UGent), Pieter-Paul Verhaeghe (VUB), Richard Carrère (VUB), Elias Herman Kruithof (VUB), Tim Christiaens (Tilburg University), Amandine Crespy (ULB), Tom Duterme (ICHEC), Lorenzo Buti (KU Leuven), Jan Orbie (UGent), Tomaso Ferrando (UAntwerpen), Christophe Vanroelen (VUB), Tarcísio Diniz Magalhães (UAntwerpen), Patrick Deboosere (VUB), Balthazar de Robiano (EUI), Sarah Kuypers (UAntwerpen), Wouter Ryckbosch (VUB), Martin François (ULiège), Fanny Dethier (ICHEC), Nabil Sheikh Hassan (UCLouvain), Thomas Decreus (Tilburg University), Ico Maly (Tilburg University), Bruno Bauraind (UMons & Gresea), Ariane Gemander (ULB), Serge Gutwirth (VUB), Matthias Van der Heyden (Universiteit Utrecht), Jordy Weyns (EUI), Maarten Loopmans (KULeuven), Jan Dumolyn (UGent), David Bassens (VUB) , Manuel Aalbers (KULeuven), Debora Ottoni Uebe Mansur (UAntwerpen), David Hadwick (UAntwerpen), Jan Buelens (UAntwerpen), Dries Lesage (UGent), Guido Vanden Wyngaerd (KU Leuven), Esteban Van Volcem (UGent), Dimokritos Kavadias (VUB), Wouter Zwysen (ETUI), Mathieu Strale (ULB), Cécile Piret (ULB), Esther van Zimmeren (UAntwerpen), Gilles Van Hamme (ULB), Esteban Martinez (ULB), Freek Louckx (UAntwerpen), Brecht Rogissart (EUI), Pascal Debruyne (Odisee Hogeschool), Maarten Hermans (VUB & Denktank Minerva), Freddy Mortier (UGent), Siggie Vertommen (UGent, UvA), Klaas De Brucker (KU Leuven), Malka Guillot (ULiège).

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